Le débat consiste en un affrontement de deux droits fondamentaux : la liberté d’expression et le droit d’être protégé contre des propos discriminatoires. Analyse théologique.

Soutenir Mike Ward ou « le petit Jérémy »?

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Le débat n’a pas cessé de faire rage, malgré qu’il dure depuis deux ans.  Le débat consiste en un affrontement de deux droits fondamentaux : la liberté d’expression et le droit d’être protégé contre des propos discriminatoires[1]. Des arguments convaincants et d’autres thèses ridicules sont mises de l’avant par les deux camps. Les supporteurs de l’humoriste affirment que toute l’affaire est montée par la mère de l’enfant du « petit Jérémy », et n’aurait qu’une visée pécuniaire, tout comme l’ensemble de la « carrière » de l’enfant. D’un autre côté, ceux qui défendent le petit déplorent le caractère méchant et haineux des blagues et arguent que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Pour nous faire une idée de la juste position morale à adopter, nous mesurerons le poids théologique et doctrinal des arguments et nous chercherons dans la doctrine sociale de l’Église[2] les indices qui pourraient orienter notre raisonnement.

Dans une capsule diffusée sur le Web qui met en scène Jérémy en tant que personnage, monsieur Ward qualifie ce dernier de « pas beau qui chante ». Il fait aussi référence au fait que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet. Du même souffle, le personnage de Jérémy enchaîne en disant : « C’est une opération que j’aurais aimé avoir, mais ça l’air que j’aimais mieux mettre tout mon argent dans le char sport que ma mère a acheté. Faque là moi je suis pogné avec ma petite boîte de son sur la tête, ma gueule qui ne ferme pas pis un livre assez moyen merci.[3] »

Jugement de la Commission des droits de la personne, juillet 2016

Liberté d’expression

La liberté d’expression est un droit dont l’existence vérifiée dans un pays est ce qui le distingue des pays totalitaires. Mais a-t-elle des limites?  « Une loi sera jugée en violation de la liberté d’expression si elle a pour effet d’entraver la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l’enrichissement et l’épanouissement personnels.[4] » On peut clairement constater que les propos de Mike Ward tenus dans ses spectacles et sur internet, ont eu pour effet de nuire considérablement à l’épanouissement de Jérémy Gabriel. Mais l’humoriste ne fait pas que se défendre d’avoir fait une blague de mauvaise goût ; il revendique le droit de se comporter comme un imbécile :

« En plus c’est ça que je fais dans la vie, des blagues de mauvais goût. C’est comme mon « trademark ». J’ai gagné de nombreux prix et fait le tour du monde avec ces blagues de mauvais goût. Amener Mike Ward en cour pour une joke de mauvais goût ça serait comme donner un ticket à Vin Diesel parce qu’il conduisait vite dans The Fast and the Furious. C’est complètement stupide.[5] »

Mike Ward, 16 janvier 2019

Le publicain et le pharisien

Les propos qui suivent immédiatement, dans cette même déclaration, sont en quelque sorte une actualisation de la parabole du Publicain et du Pharisien de Jésus (cf. Lc 18, 9-14) :

« En plus la Commission essaie de me faire passer pour une mauvaise personne qui ne respecte pas les handicapés. Google moi, tu vas voir tout ce que j’ai fait pour les handicapés. Je ne suis pas une mauvaise personne.  Si tu veux voir des mauvaises personnes, google Mario Gauvin, ancien médiateur de la Commission des droits de la personne qui a plaidé coupable après avoir eu des relations sexuelles avec un enfant de moins de 14 ans.
Ou google Camil Picard, ancien président de la Commission des droits de la personne et DE LA JEUNESSE qui a perdu son emploi suite à une histoire de pédophilie lui aussi.
Ça c’est des mauvaises personnes. Pas moi. Moi je suis juste un gars, qui vit son rêve, une joke louche à la fois.

Mike Ward sur sa page Facebook, le 16 janvier 2019

Le tort que les autres commettent n’efface pas le tort qu’on fait nous-même et tout le bien qu’on a pu faire ne réduit en rien la culpabilité de celui qui commet un tort. Le fait de pointer dans la direction d’hommes sensés avoir une morale irréprochable n’a d’autre but que de détourner l’attention pour ne pas ressentir la honte de son erreur. Ward n’est pas moins coupable parce que d’autres ont commis des gestes répréhensibles, de même que les hommes qu’il pointe du doigt ont sans aucun doute, à un moment ou à un autre de leur vie, faire le bien dans leur entourage, et qui sait, peut-être un plus grand bien que le comique ne pourra jamais faire. On ne peut juger la valeur d’une personne à partir d’un seul acte. Ce qui compte, c’est le coeur.

Liberté d’expression

La liberté d’expression et la liberté humaine en général, signe très élevé de l’image de Dieu, doit être ordonnée au devoir de respect de chacun.[7] Il est contraire à la loi naturelle que de réduire la liberté à un exercice arbitraire et incontrôlé de l’autonomie personnelle : « Loin de s’accomplir dans une totale autarcie du moi et dans l’absence de relations, la liberté n’existe vraiment que là où des liens réciproques, réglés par la liberté et la justice, unissent les personnes[8] ». Mike Ward n’est libre de dire ce qu’il veut que dans la mesure où il prend conscience qu’il est en relation non seulement avec le public devant lui, mais avec l’humanité entière, à des degrés différents. On le sait, la liberté est aussi celle d’être libre de refuser de faire le mal. Sachant que ses propos allaient heurter le jeune Gabriel et sa famille, en plus de porter atteinte à la dignité de centaines de personnes handicapées, l’exercice de la liberté d’expression de l’humoriste revient aussi à ne pas faire le mal avec les mots qui sortent de sa bouche. 

Ward ne peut pas, non plus, invoquer le fait que dans le cadre de son travail, il se permette d’inciter le public à souhaiter la mort d’un jeune homme handicapé, mais que dans sa vie privée il apporte son soutien à nombreux organismes qui leur viennent en aide aux personnes qui sont aux prises avec des handicaps. Le travail, chez la personne humaine, « ne doit pas être conçu dans un sens objectif et matériel, mais il faut aussi dûment tenir compte de sa dimension subjective, en tant qu’activité exprimant toujours la personne.[9] » Quant au concept même de vie privée, il est tout simplement inexistant dans le Magistère de l’Église. En effet, on devrait trouver une unité entre les agissements publics et privés d’une personne et le concept de ce qui est public s’y retrouve plutôt opposé à ce qui est « particulier ». Nous garderons pour une autre fois l’étude exhaustive de ce sujet. Contentons-nous pour le moment de citer la lettre de Jacques (3, 11-12) : « La source fait-elle jaillir par la même ouverture le doux et l’amer? Un figuier, mes frères, peut-il donner des olives, ou une vigne des figues? L’eau de mer ne peut pas non plus d’eau douce. »

Mike Ward rate la cible

Mike Ward a donné plus de 200 représentations de son spectacle devant des salles pleines, partout au Québec. Après avoir répété dans chacun de ces spectacles que le petit Jérémy devrait être mort, il se désole maintenant que sa victime eût dû se retirer des médias sociaux à cause des nombreuses menaces qu’il y a reçues : « Cette fois-ci c’est Jérémie qui reçoit la haine, et pour ça j’ai beaucoup d’empathie pour lui. J’espère que les gens qui lui envoient des messages haineux ne pensent pas m’aider. La haine n’aide personne.[10] » La question que M. Ward n’ose pas se demander en se regardant dans le miroir, c’est de savoir s’il en aurait été de même s’il avait accepté humblement l’accusation d’être allé trop loin plutôt que de revendiquer le droit de rire du handicap de quelqu’un.

Le comique aurait pu atteindre la cible en se moquant de ceux qui considèrent le petit Jérémy comme un artiste tout en évitant de ridiculiser les efforts qu’il a faits pour dépasser les limites de sa naissance.  Un bon caricaturiste exagérerait les traits du jeune Gabriel pour rire d’une fourberie qu’il aurait pu dire ou pour dénoncer un phénomène social insensé. Le répertoire de mauvaises décisions en ce qui concerne la gestion de la carrière publique du jeune semble inépuisable. Une caricature du petit, sans citation, ce n’est juste pas drôle, de la même manière que le fait de traiter l’ancien ministre de la santé de gros, c’est digne d’un enfant de quatre ans. Il n’y a rien de drôle à se moquer de ce que les gens ne peuvent pas changer ; au contraire, c’est petit et vicieux. On dit aux enfants d’école de pas faire ça. Il m’apparaît hautement représentatif de notre époque hypocrite qu’on dépense tant de fonds à sensibiliser les jeunes aux graves conséquences de l’intimidation et qu’on applaudisse des adultes en moyens qui se réclament du droit de se comporter en intimidateurs. [11]

On peut toutefois être d’accord avec l’humoriste quand il affirme que « C’est tellement ridicule être en cour contre la Commission des droits de la personne pour une blague que j’ai écrit il y a 10 ans. Une blague de mauvais goût, certes, mais une simple blague pareil.[12] ». Pas certain qu’il aurait le courage de dire que « Martin Deschamps est laid » ou que « Yvon Deschamps est sénile ». Il a trop de respect ou d’admiration pour ces deux autres « intouchables ». C’est donc véritablement la défense de la dignité des personnes qui devraient primer ici sur la liberté d’expression. Il aurait tout simplement mieux fait de reconnaître son erreur et présenter ses excuses.

Références

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward (2016) SOQUIJ, http://t.soquij.ca/t7T8L.

CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, 1965. Libertatis conscientia. s.l.:s.n.

CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX », 2006. Compendium de la doctrine sociale de l’Église. Ottawa: Éditions de la CECC.

LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982, 1982. Charte canadienne des droits et libertés. [En ligne]
Available at: https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html
[Accès le 24 janvier 2019].

WARD, M., 2019. Page Facebook officielle. [En ligne]
Available at: https://www.facebook.com/MikeWardca/posts/10156189385828590

WIKIPEDIA, 2016. Article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. [En ligne]
Available at: https://fr.wikipedia.org/wiki/Article_2_de_la_Charte_canadienne_des_droits_et_libert%C3%A9s
[Accès le 24 janvier 2019].


[1] (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward, 2016), no. 2

[2] (CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX », 2006)

[3] (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward, 2016), no. 92

[4] (WIKIPEDIA, 2016)

[5] (WARD, 2019)

[6] (WARD, 2019)

[7] cf. (CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX », 2006), no. 199

[8] (CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, 1965), no. 26

[9] (CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX », 2006), no. 101

[10] (WARD, 2019)

[11] Intimidation: définition.« Tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser. https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/intimidation/definition/Pages/index.aspx

[12] (WARD, 2019)

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